La Promenade des éloignés
Frédéric Pradal
Pour mon ami Diacharie et son frère Moussa
Dans son village il était bien
Dans son village il était bien
La sécheresse un an c'est dur
La sécheresse deux ans c'est dur
La sécheresse trois ans il part
A la ville
La grande ville
La grande ville trois ans c'est dur, pas de travail pour les études
A la ville il commence rêver l'Europe,
commence rêver, comment se rêver
Trois ans après le grand départ
Dans son sac, un jean, un T-shirt, un livre :
Comment passer du pessimisme à l'optimisme
Les dollars, dans le slip
Les bonnes chaussures aux pieds, c'est important
Il a rêvé, il avançait, il a rêvé
Il avançait, il avançait, il a rêvé
Le racket, les militaires
Le racket, les militaires
Arrivé à Agadez il a plus rien
La porte du désert, il a déjà plus rien
Echoué des mois à Agadez, échoué des mois
L'argent son village l'a envoyé
Il peut rouler en Mercedes à 150
Vieux Mercedes
150 hommes sur le toit du vieux camion
Sous le soleil, dans le désert, il faut tenir
Moi je suis fort et courageux, mon cœur il va pas éclater
Moi je suis fort et courageux dans l'Europe je peux tout faire
Je peux faire le football
Je peux faire le soldat
Je peux faire le maçon
Si Dieu le veut
Si Dieu le veut
Le racket, les militaires
Sur le toit du camion dans le désert l'aube est si belle, envie de vivre
Là-bas la mer
Il sait les bateaux coulent mais pas le sien
Après tout ça Dieu il peut pas l'abandonner
Si Dieu le veut
Si Dieu le veut
Abdelghani Karamallah est un jeune auteur originaire de la province du Nil Bleu, au sud de Khartoum. Il réside actuellement au Qatar. Il a publié de nombreuses nouvelles dans la presse soudanaise et celle des pays du Golfe. Il est aussi l'auteur d'un recueil de nouvelles publié à Beyrouth, salué par la critique au Soudan et dans le reste du monde arabe : Maux de dos (2005), dont est tirée la nouvelle suivante. Il a aussi écrit un roman en cours de publication : Sur le chemin de l'école.
Dans ses nouvelles, les rôles sont inversés : des animaux - l'âne du prédicateur ou la chienne Fatima - voire des objets - une paire de chaussures, un morceau d'encens, un livre, une pierre - deviennent les personnages principaux, parfois même s'improvisent narrateurs pour relater leurs impressions sur le genre humain et le monde qui les entoure.
Je suis l'âne du prédicateur, et vraiment, sans cette patience inscrite dans mes gènes, et cette corde qui me relie à ce tronc d'arbre, ce vendredi après-midi, j'aurais pénétré en colère dans cette immense salle surplombée d'un haut minaret, j'aurais écarté la foule pour arriver jusqu'à la chaire puis je lui aurais tourné le dos et, de toutes mes forces, j'aurais donné un bon coup de sabot au prédicateur, qui élevait la voix et parlait avec douceur des animaux, puis j'aurais poussé un long braiment que tous - hommes et djinns - auraient entendu, en guise de vengeance. Les traces des coups de fouet et des coups de bâton sont encore visibles sur mon pauvre dos, tandis qu'il n'y a plus de luzerne ou d'herbe dans mon enclos depuis une bonne semaine, ce qui justifierait amplement mes coups de sabot.
Comme je l'ai dit déjà, je suis l'âne du prédicateur, le cheikh Jadallah. C'est un expert en prédication dans les domaines de la mort, de la séduction, de l'enfer et des bienfaits de la morale. Il prononce des discours parfaits, équilibrés et mûris, mon pauvre dos a d'ailleurs été le témoin de nombre de ses répétitions. Lorsqu'il était seul dans la campagne déserte, entre deux villages, il donnait libre cours à sa parole et discourait à propos du trépas, puis il pleurait comme si le mort en question était son propre fils, puis il décrivait les affres de l'au-delà comme s'il avait vu de ses propres yeux Dieu frapper le dos des hommes avec son bâton. Il élevait la voix, puis il murmurait, puis il changeait de sujet et parlait du mariage, il se mettait alors à sourire en embrassant du regard les invités de cette noce imaginaire. Je reconnais que je ne suis pas très clairvoyant, c'est d'ailleurs ce qui m'a conduit à croiser son chemin. « La destinée nous aveugle », comme il a l'habitude de dire lorsqu'il console un malheureux. Il ne s'intéresse qu'à la prédication et aux coutumes funéraires, à la réconciliation, aux chants et aux ouvrages de droit religieux remontant à l'époque abbasside ou mamelouke, tandis que ma vie à moi se limite au monde de l'enclos, de la luzerne et du transport de ce que l'homme est incapable de soulever. Il descend souvent de mon dos pour continuer ses répétitions jusqu'à ce qu'il en perde le souffle, et le désert devient le théâtre d'un discours dont les héros sont le prédicateur et son âne. « L'auditeur est l'associé du locuteur », dit le proverbe, alors que Dieu me pardonne si je lui reproche que ses discours sont creux, dépourvus de perspicacité ou de goût.
J'ai toujours été surpris par la vitesse à laquelle il passe des pleurs au rire, de la différence entre deux discours improvisés qui ne durent pas plus de quelques secondes, ou de ses discours à propos de la bonne disposition des premiers musulmans à l'égard des animaux, ou encore à propos de ce juif qui alla directement au paradis parce qu'il avait désaltéré un chien assoiffé, ou encore à propos de cette méchante femme qui brûla en enfer parce qu'elle avait capturé un petit chaton. Le sens de mon braiment est : « Que Dieu se venge en bottant le train de ce prédicateur qui n'a pas respecté la pension de sa fidèle monture ».
Quant à ma patience innée, elle me vient de ma mère - Dieu ait son âme - qui durant sa courte et misérable vie a transporté sur son dos cinquante mille tonnes de légumes, d'hommes et de meubles, infatigablement, jusqu'à sa mort. Elle a porté sur son dos les meubles et le trousseau de la fille du maire, les youyous des femmes se mêlant aux larmes et aux gémissements de ma mère, à l'agonie. Comme je suis devenu orphelin alors que je n'étais encore qu'un ânon, on m'a confié les fardeaux de ma mère, et mon dos vigoureux a dû porter des charges que même un bateau n'aurait pu transporter. Mais j'ai fait preuve d'une patience et d'une vigueur rares, devenues légendaires. Ce sont ces qualités qui m'ont attiré tout ces malheurs, car c'est ainsi que les commerçants, les notables, la sage-femme et le prédicateur m'ont remarqué. Comme mon maître était pauvre, il resta bouche bée devant les propositions qui lui furent faites, c'est pourquoi il m'emmena finalement au marché des ânes, le marché de l'esclavage et de l'humiliation. Je voulais être racheté soit par la sage-femme, soit par le prédicateur, la première parce qu'elle possédait déjà plusieurs ânes et qu'elle se préoccupait de leur aspect et de leur santé, parce qu'elle les choyait et qu'elle leur mettait de jolies selles, et aussi parce qu'elle circulait peu d'un village à l'autre, au gré des fœtus désireux de quitter la quiétude du ventre de leurs mères. Le second parce qu'il avait bonne réputation, parce qu'il prononçait de beaux discours à la fois humains et animaliers. En fait, j'avais moi-même entendu plusieurs de ses prêches alors que j'étais attaché à l'arbre près de la mosquée lorsque mon maître allait faire ses prières. Je rêvais d'être l'heureux âne de ce prédicateur afin de profiter des bienfaits et de la clémence que dégageaient ses discours et ses prêches. Finalement mon rêve se réalisa, le prédicateur monta sur mon dos, avec sa prestance et sa djellaba particulière.
Quant à mon père - que Dieu le garde -, il fait partie de ces ânes qui ont été éprouvés par les laitiers, il passait son temps à faire le tour des quartiers, des ruelles, portant sur ses côtes deux cuves de lait. À cause de la routine - mon père a exercé ce métier pendant quarante années -, il a été frappé par une maladie mentale, juste après la mort de l'oncle Saad, le laitier. Ensuite, mon père a été vendu au marché des maquignons, et c'est un meunier qui l'a acheté pour transporter les sacs de blé du champ au moulin. Mais comme mon père avait été élevé depuis sa plus tendre enfance pour marcher droit devant lui, et qu'à force de répéter toujours les mêmes gestes on continue à les reproduire, il continua à marcher toujours droit devant, malgré les solides coups de bâton qu'il recevait, censés le mettre dans la direction de la ferme, sur les bords du Nil. Un âne, c'est comme un train, s'il sort de la voie qui lui a été tracée, il se disloque. Les gens ne savaient pas que mon père était devenu gâteux, qu'il continuait à aller vers les maisons où il avait pris l'habitude de se rendre toute sa vie durant, alors que son maître n'avait plus besoin de lui. Lorsqu'il fut abandonné à son sort, sans maître, chassé de l'enclos alors qu'il était vieux et malade, pratiquement aphone, il fut forcé de dormir dans le désert, été comme hiver, et sans la générosité de quelques femmes qui le trouvaient à leur porte chaque matin, leur rappelant l'oncle Saad - que Dieu ait son âme -, et qui donnaient à leur invité un peu de luzerne, de kisra ou de pain sec, ou bien les restes de cresson, de radis ou d'oignon, mon père serait mort de faim. Elles répétaient toujours : « Mon Dieu, c'est l'âne d'oncle Saad, il n'a pas oublié ses vieux amis », mais elles ne savaient pas qu'il était atteint d'une maladie psychologique, la « maladie du tournis ». À force d'avoir effectué tellement de tournées entre ces portes, il était désormais mû par cette habitude ancestrale ancrée dans son esprit, il continuait donc à tourner sans s'en rendre compte, poursuivant cette vie qu'il avait menée durant un demi-siècle, jusqu'à son funeste destin. Je me souviens encore des histoires de mon père à propos de sa jeunesse, il me racontait cela avec orgueil lorsque je n'étais encore qu'un ânon, je pouvais le lire dans ses yeux enfoncés regrettant l'âge d'or des ânes lorsqu'ils paissaient et se prélassaient dans la forêt, lorsque rien ne troublait encore leur pureté, lorsque leurs dos étaient encore beaux, doux, sans selle, sans meubles, sans besace et sans propriétaire. C'était une vie paradisiaque, passée entre l'ombrage des arbres aux fruits mûrs, les rives des fleuves et les mares, entre les fleurs et toutes les joies de la vie. Les ânes allaient là où leur envie les guidait, et non là où leurs maîtres les menaient. C'était la belle époque, avant que ne surviennent ces êtres qui ne marchent que sur deux pattes, qui nous ont depuis imposé de travailler pour eux, dans un système d'esclavage presque inégalé à travers l'Histoire. Heureusement, Dieu est miséricordieux, il a fait en sorte que notre viande soit amère et détestable, sinon nous aurions subi le même sort que les chèvres, les vaches ou les moutons dont la viande fait le délice de l'estomac délicat de ces hommes, dont le doux corps est égorgé, équarri et cuisiné. De même, j'ai vu dans les villages des cuves pleines d'oignons et de tomates, des champs de blé doré transformés en terre stérile sous l'action de leurs serpes qui ne connaissent aucune pitié. Leurs épis finissent écrasés par la meule des moulins avant d'atterrir dans des fours brûlants, dans les assiettes d'une cuisine ou même sur le feu d'une bonbonne de gaz.
Comme je l'ai déjà dit donc, je suis l'âne du prédicateur, celui qui connaît par cœur des tas d'histoires, de sentences et de sagesses - que Dieu ait pitié de l'âne chargé de transporter ce cœur en question, car il s'agit là d'un bien lourd fardeau, qu'il ne pose jamais sur le sol, ne fût-ce qu'un bref instant, pour le soulager. Par expérience, je peux dire combien il est agréable que l'on fasse descendre de son dos un homme, ou une femme, ou un sac, ou une sacoche, ou même la moindre peine.
Lorsque je m'arrêtai à l'ombre de cet arbre, après une longue marche depuis un village voisin, il me mit sur le dos ce gros prédicateur, qui ne semblait pas s'entendre lui-même répéter ses prêches. Ce jour-là - c'était un vendredi -, il ordonna à sa petite fille, Rasha, de seller mon dos, car il devait aller dire le prêche du vendredi dans un village voisin, alors qu'il savait très bien que je n'avais pas mangé la moindre luzerne depuis deux jours. Ils ne firent aucun cas de mes gémissements, alors qu'ils savaient bien que je venais à peine de rentrer dans l'enclos, après avoir emmené son fils au marché à dix miles de là. Et la veille au soir, j'avais transporté tous les meubles de Fatima, la femme répudiée par son mari un jour de pluie, ce qui signifie que j'avais dû enfoncer mes pattes dans la boue avec sur le dos Fatima et ses valises, le tout dans l'obscurité totale, pour me rendre dans un village éloigné, suivi par son mari qui n'avait trouvé que mes reins pour décharger sa colère à l'égard de Fatima.
Lorsque la petite Rasha arriva, elle me regarda tristement, car elle était comme moi, sans recours. C'était elle qui soignait les plaies de mon dos ensanglanté. Elle étalait dessus le carbone tiré de vieilles piles de transistor, puis elle massait les blessures. Elle me sella donc, puis j'emmenai le prédicateur au village voisin alors que je mourais littéralement de soif et de douleur. Heureusement, nous étions à peine sortis du village, à deux miles de distance environ, que je trouvai une flaque d'eau entourée d'herbes fraîches et bien vertes. Mais je pus à peine tendre le cou vers elles qu'un coup de bâton me tomba sur les reins. Je dus alors me dépêcher tout en maudissant ma pauvre destinée, tandis que s'échappaient de sa gorge d'affreuses chansons à propos des femmes du quartier. En même temps, il zyeutait les jeunes filles qui travaillaient dans les champs, tandis qu'elles se baissaient pour cueillir les tomates, leurs cuisses souples et délicates brillant sous le soleil de midi. Je hochai la tête, comme pour mimer « Attention, Dieu est partout et rien ne lui échappe », et un coup de bâton s'abattit à nouveau sur mes reins, comme s'il avait compris mes paroles, puis il me donna encore quelques coups avec le bout de ses sandales. En fait, le seul être humain qui me plaise est ce brave moine qui a dit un jour que l'homme, dans sa longue vie, est lui aussi passé par le stade animal, il ne serait donc pas invraisemblable que le prédicateur ait été jadis le fils d'une ânesse rétive ou d'une brebis décharnée. Mais malgré cette zone d'ombre qui plane sur ses ancêtres, c'est tout de même lui qui a pris le dessus, même si nous sommes tous des créatures de Dieu.
L'apogée de ma rancœur envers lui fut ce jour où il partit donner une leçon à quelques étudiants. Comme une fois encore je mourais de faim, j'engloutis l'un de ses gros grimoires, parmi ceux qu'il chérissait le plus. Il perdit son sang-froid car c'était un livre qu'il consultait souvent, alors il me priva de luzerne pour me punir de cette abomination. Je faillis lui rappeler ce dicton qu'il répétait à chaque prêche : « La science se trouve dans vos cœurs et non dans les livres », ou encore les paroles du cheikh Al-Obeid Wad Badr : « Celui qui sait ce qui se trouve dans les livres mais qui ignore ce qui est dans les cœurs, n'est en fait qu'un ignare ». Si seulement il comprenait la langue des ânes, hélas il est sourd et muet à ce niveau-là, pourtant il prétend guider les gens, mais je me demande bien comment.
Sur la route vers ces prédications, aussi nombreuses qu'inégales d'ailleurs, je passai un jour devant les restes de ma mère, une poignée d'os décharnés partiellement couverts de terre, entre lesquels avaient poussé quelques plantes verdoyantes. Sur les os de sa poitrine, là où le cœur de ma mère avait un jour battu, quelques sacs en plastique et quelques pages de journal jaunies s'étaient accrochés, emportées par la brise depuis les maisons de l'instituteur ou des étudiants du village. Les vents avaient emporté dans le désert la chair et la peau de ma mère, qui s'étaient dispersées dans la poussière. Tandis que j'allais et venais d'un village à l'autre, je manquais à chaque fois de trébucher sur les restes de son corps chéri. Cette vision provoquait en moi une profonde peur, imaginant que derrière la chaleur de cette vie et de ces malheurs se cachait un grand secret. Qu'étaient ces plantes vertes et humides, sinon les restes de ma mère, qui tentait de revenir à la vie d'une autre manière ? Un nouveau coup de bâton tomba sur mes reins pour me faire avancer au moment où nous passions devant la tombe de son père à lui et que je m'y arrêtai, tandis qu'il se répandait en prières et en demandes de pardon.
Ce sont toutes ces choses, parmi tant d'autres, qui nous ont poussés, moi et quelques-uns de mes semblables, à nous révolter ce jour-là, pleins de dépit. Quelques ânes ont exagéré en manifestant leur rancœur envers les hommes, leur administrant un bon coup de sabot dans le pelvis afin de les empêcher d'encore enfanter d'autres hommes destinés à réduire notre descendance en esclavage. Moi, je penchai plutôt pour la manifestation pacifique la plus sage, qui consiste à braire en groupe. En exploitant ce cri collectif, nous pouvions ainsi troubler son prêche, c'est ainsi que notre braie-ment s'éleva comme la foudre, couvrant la voix du haut-parleur.
Je ne vous cache pas que très souvent je gâchais sa sérénité lorsque je le retrouvais à midi, plongé dans un profond sommeil, adouci par le ventilateur qui rafraîchissait l'air autour de son lit, tandis que moi je brûlais en plein soleil d'été, sans même un auvent pour me protéger. Je me mettais alors à braire sans m'arrêter, et tous les habitants de la maison sortaient en me couvrant d'insultes qui convenaient peu à quelqu'un de familier. Alors il se levait et m'envoyait à la tête un tas de chaussures et de bâtons cachés sous son lit, faisant peu de cas du dicton qui était pourtant suspendu dans son salon de réception : « La patience est la clé du bonheur ».
Mais je l'attendais au tournant : profitant de notre passage à proximité d'une école primaire ou des magasins de la coopérative, je levais mes pattes arrière le plus haut possible jusqu'à ce qu'il tombe presque vers l'avant, puis je levais mes pattes avant et les rabaissais aussitôt, à la vitesse de l'éclair, sans me préoccuper des douloureux coups de fouet, du moment que j'avais réussi à entacher sa prétendue retenue, sa prestance artificielle, en faisant rire l'assemblée.
En vérité, tout au long de mon esclavage, mon dos a dû supporter des charges qui défient l'imagination. Le comble de la sauvagerie a été atteint lorsque mon dos nu a dû porter une poutre métallique qui faillit le briser, et qui causa d'ailleurs à ma colonne vertébrale des douleurs qui m'envahissent encore à chaque fois que je dois sauter au-dessus d'une rivière ou même d'un ruisseau. Mais je ne peux pas non plus nier que j'ai aussi passé des moments agréables, notamment lorsqu'il mettait sa grande fille sur ma selle pour l'emmener à l'école et que ses cuisses souples me chatouillaient le dos. Il faut dire les choses comme elles sont, il y avait des moments de bonheur, même brefs, surtout lorsqu'elle donnait un petit coup de son talon à la peau tendre sur mes côtes, pour me faire avancer, et qu'un frisson agréable parcourait alors tout mon corps, jusqu'aux sabots. Mais une fois devant le seuil de l'école, elle descendait de mon dos à la vitesse de l'éclair.
Après tout cela, il m'a vendu, malgré cette familiarité qui dura pourtant quinze ans. Et par malchance, il me vendit au fils aîné de la fille du maire, celle dont le mariage avait été la cause du décès de ma mère. Lorsque j'arrivai dans mon nouvel enclos, je la regardai avec tristesse et attention. Elle avait trente-cinq ans, mes yeux se baignèrent de larmes lorsque je me remémorai l'agonie de ma mère, ses gémissements, tandis que mes oreilles se remplissaient des youyous et du son des tambours de cette époque révolue.
Ceci est mon témoignage, le témoignage d'un juste. Le jour viendra, comme il le dit lui-même, où des files de malheureux, eux aussi broyés sans raison aucune par ce prédicateur, se dresseront avec moi. Ils se tiendront derrière moi - parce que c'est moi qui ai eu la plus grande part du malheur- des files d'insectes, de fourmis, de puces, de chats, de plantes, de sauterelles, de feuilles d'arbres, de mouches, de scorpions, qu'il a un jour écrasés ou tués sur sa route, pour des raisons personnelles. Demain, la vérité apparaîtra au grand jour, et tu sauras enfin si celui qui est sur ton dos est un prédicateur ou un escroc.
Qu'est-ce donc pour un dos, d'ailleurs, au poil soyeux, fort, lisse, d'une belle couleur ? Si seulement j'avais des piques de hérisson à la place de ces poils, et aussi la taille d'un tigre, des pattes plus longues que celles du lion, et un cri plus puissant, plus effrayant que celui des bêtes sauvages, plutôt que ce cri d'animal soumis et misérable. J'ai des dents acérées et solides, mais elles ne mâchent que de l'herbe et de la luzerne. Les hommes ont peur du scorpion, alors qu'il est même plus petit que mes sabots, ils tournent les talons lorsqu'un chien aboie, alors que même un enfant peut grimper sur mon dos moelleux et confortable, et ils donnent des coups de fouet sur mon dos ou aiguillonnent mon ventre affamé pour me faire avancer, juste pour satisfaire leurs désirs. Les désirs de l'estomac, de l'esprit ou du cœur n'appartiennent-ils donc qu'aux hommes ?
Lors de mon premier voyage avec le petit-fils du maire, qui adore la natation, il m'attacha à une grosse pierre en face de la rive. Mes pensées m'emmenèrent alors au loin, là où se trouvaient la verdure, l'eau et les braiments des ânes. Il y avait un troupeau d'ânes rabougris et heureux, qui savouraient avec une joie débordante leur doux bonheur, entrecoupé de braiments exprimant leur satisfaction. Mes expériences anciennes, tristes et douloureuses, me revinrent à l'esprit. Mais comme il ne s'agissait que de souvenirs, ils s'estompèrent rapidement. Mon cœur se mit à palpiter, comme un poisson frétillant qui se débarrasserait de son enveloppe corporelle et qui, au fond de ses tendres entrailles, effacerait à jamais la peur d'être pris au piège dans la gueule béante des monstres marins. Le sabot gauche enfoncé dans la boue, je me mis à répéter, pour consoler mon âme : « Dans la steppe, le chameau meurt de soif alors que son dos transporte de l'eau. De la même manière, de village en village l'âne meurt sous le poids de sa charge, tandis que son dos transporte le prédicateur ». Je me promis alors de m'en sortir et de garder désormais mon dos nu. La seule charge que ce dernier supporterait encore serait les rayons du soleil et la brise légère, mais plus jamais de selle, de corde ou de piquet. Désormais, mon enclos serait ces vastes plaines aux frontières inconnues.
Ahmad Al-Malik est né en 1967 à Argo, en Nubie, dans le nord du Soudan. Il vit aujourd'hui aux Pays-Bas. Il est l'auteur de plusieurs romans et recueils de nouvelles : La Troupe musicale (Khartoum, 1991), Les Oiseaux des derniers jours du printemps (Khartoum, 1996), La Sixième Mort du vieux Munawfal (Damas, 2001), Le Printemps viendra avec Safa (Khartoum, 2003) et Noura la fille aux cheveux tressés (Khartoum, 2007). Son avant-dernier ouvrage a été publié en français sous le titre Safa ou la saison des pluies (Actes Sud, 2007) et devrait être traduit prochainement en néerlandais.
Cette nouvelle est tirée de son dernier livre, Noura la fille aux cheveux tressés. Dans un style souvent ironique et subtil, ses romans et nouvelles mettent en avant la multiculturalité du Soudan et s'inspirent largement de la situation socio-politique de son pays d'origine, mais aussi de son expérience en tant qu'immigré en Europe.
Il y a une semaine, on m'a livré le char que j'avais acheté chez un intermédiaire qui habite dans notre quartier. C'était une très bonne affaire, même si plusieurs de mes connaissances furent étonnées lorsqu'elles le virent échoué sous le margousier qui se trouve devant notre maison. Je remarquai peu après que la plupart d'entre eux cessèrent de nous rendre visite, sous différents prétextes. Même le professeur d'anglais, ce souffreteux qui émet un sifflement saccadé lorsqu'il fume le narguilé avec moi, cessa de venir donner des cours à ma fille, sans même récupérer la somme qui lui était encore due. Quant au laitier, la dernière fois qu'il nous a vendu du lait, il fut bien étonné de nous voir, mon fils aîné et moi-même, en train de nettoyer le char. Du coup, il reconnut en tremblant nous avoir vendu à maintes reprises du lait coupé d'eau. Il tenta ensuite de se justifier en invoquant la conjoncture économique, nous montrant des documents allant dans ce sens : des feuilles de compte établissant les grosses sommes qu'il devait payer, sous peine de voir ses cinq enfants expulsés de l'école. Il exhiba également un document officiel du service des taxes, qui lui accordait un délai d'une semaine pour régler le solde de ses dettes, sous peine d'être traduit en justice. Je me dis, malicieusement : « Il est bien le seul au monde à payer ses taxes en vendant de l'eau ! »
Je ne prêtai guère attention à ses aveux et je continuai à nettoyer et à lubrifier le char avec mon fils aîné. Pendant qu'il continuait à énumérer ses arnaques, je lui demandai de m'aider : « Passe-moi ce bout de chiffon, remplis ce seau à la pompe de la cour », et lui me répondit d'une voix chevrotante. Je remarquai alors que ma femme était en train de se quereller avec lui à cause de cette histoire d'eau, et qu'en même temps elle l'avait poussé à l'aider : « Passe-moi le balai, soulève ce tonneau et mets-le devant la porte », et lui répondait de sa voix toujours chevrotante. Je l'ai même vu nettoyer le sol avec une serpillière, tout en approuvant les reproches de ma femme qui criait : « Tu n'es bon qu'à vendre de l'eau ! Allez, repasse de ce côté-là, n'appuie pas trop sur la serpillière ! Regarde, à cause de cette eau que tu nous as vendue, l'ouïe de mon benjamin s'est affaiblie, il en a même perdu ses dents ! » Tout en s'affairant, le laitier essayait de cajoler le petit garçon perdu dans ses rêves en sifflant, comme pour lui assurer qu'il n'était pas le responsable de sa faible ouïe. Lorsqu'il eut terminé de récurer toute la maison, nous terminions nous-mêmes de nettoyer le char, qui semblait flambant neuf. Le laitier avait terminé sa tâche, et je vis des larmes remplir ses yeux, tandis qu'il nous faisait ses adieux.
Les jours qui suivirent l'achat du char, je constatai une amélioration de certains services : le boucher se mit à nous donner ses meilleurs morceaux de viande, à la place des os qu'il nous refilait auparavant. De même, il n'y eut plus une seule coupure d'électricité depuis que le char se trouvait sous le margousier, en face de notre maison, alors que nos voisins restaient dans l'obscurité totale - ma femme couvrit même le char de louanges électriques. Depuis l'arrivée du char, nous n'avions plus de coupures d'eau, et comme notre maison était la seule du quartier à bénéficier de cette manne aquifère, mes trois fils et moi fûmes obligés de passer la journée à organiser la file des voisins qui venaient quémander de l'eau chez nous ; nous dûmes même nous armer de gourdins pour contenir leur ardeur. Toujours grâce au char, nous avions obtenu le privilège de ne plus devoir faire la queue devant la boulangerie du quartier. Dans les jours qui suivirent la livraison, la plupart des gens qui avaient contracté des dettes auprès de mon père et qui avaient disparu après sa mort ou avaient même prétendu ne pas le connaître, accoururent chez moi. Je dus examiner des dizaines de formulaires établissant qu'ils n'avaient jamais nié les dettes qu'ils avaient contractées auprès de mon défunt père, mais que c'étaient la conjoncture économique, particulièrement difficile, les impôts, l'inflation et le changement de la monnaie nationale qui avaient causé le retard de leurs créances. J'entendis de nombreuses promesses, mais je ne récupérai même pas un centime de tout cela ; au contraire je fus bien obligé de recevoir convenablement ces gens endettés, ce qui augmenta nos propres dettes auprès du boucher et de l'épicier. Finalement, il semble que le seul bénéficiaire de toutes ces reconnaissances de dettes fut mon défunt père, car une nuée de visiteurs venait sans cesse lire la première sourate du coran pour le salut de son âme, tout en vantant sa grande patience à leur égard, même après sa mort.
Cela s'était passé deux semaines plus tôt. J'avais été invité avec ma famille pour assister à une fête de mariage, et je dois reconnaître que je restais assis, grincheux, parce que je venais de me disputer avec ma femme, comme toujours d'ailleurs. Elle me reprochait, comme tous les jours, de dilapider les biens que m'avait laissés mon père, de ne pas travailler, et comme toujours elle ne se laissait pas convaincre par mes arguments -je lui disais que j'attendais une bonne opportunité. Pourtant, cette fois, j'utilisais de terribles termes économiques que j'avais moi-même entendus à la radio, comme l'inflation, l'effondrement de la monnaie nationale face au dollar américain, le retard de la saison des pluies cette année et les coupures d'électricité dues à la baisse de débit du Nil Bleu. J'avançai même quelques excuses sanitaires : travailler sous cette canicule, alors qu'il n'y a plus d'électricité, est mauvais pour le cœur ; l'inflation économique pourrait conduire à l'inflation de la rate ; la dépression subite de la monnaie nationale pourrait amener à la dépression nerveuse.
J'étais donc assis, en train de ronchonner, ressentant pour la première fois un sentiment d'infériorité, comme si j'étais le seul désœuvré en ce monde - même si parallèlement j'étais assez fier de ne pas être fonctionnaire. La voix du chanteur était catastrophique, un moment donné on eut même l'impression qu'il ne chantait pas avec la langue mais plutôt avec les pieds, tandis que derrière lui l'orchestre improvisait. Il ne manquait plus qu'un nuage de poussière pour donner l'impression que l'on assistait à une bagarre générale où chacun utilisait les pieds pour frapper l'autre. La chanson était longue, elle me parut même interminable. Chaque nouveau morceau en entraînait d'autres, improvisés, un peu comme la copie mécanique d'un enchaînement de sentiments vulgaires, entrecoupé de fantasmes consommés du quotidien. On commença ensuite à distribuer le repas. L'idée de manger ne me plaisait pas plus que ça, si ce n'est que j'imaginais qu'après cela quelque chose allait se passer qui mettrait au moins fin à ce cercle infernal de chansons. Le repas était infect, juste un minuscule morceau de fromage digne de ces petites souris que l'on voit dans les dessins animés, un morceau de viande froide, et un petit morceau de patate, toute sèche. Je tendis la main pour attraper un quignon de pain et je posai mon assiette sur le côté. À ce moment-là, un homme portant sur la tête un turban assez grand pour abriter quatre personnes tira une chaise et s'assit à côté de moi. C'était la première fois que je le voyais, même s'il me dit qu'il m'avait observé quelquefois pendant que je jouais au foot avec des enfants sur la petite place qui se trouvait devant notre maison. Je ne prêtai pas attention à cette remarque futile et nous nous mîmes à discuter brièvement des soucis quotidiens : la hausse du prix des oignons, les coupures d'électricité, la stagnation des transactions commerciales, l'inflation... Soudain, il me déclara quelle était sa profession : intermédiaire commercial. Sa profession attira mon attention, car jusqu'à ce moment je pensais que personne ne pouvait avouer faire un tel métier, et je ne comprenais même pas comment on pouvait tirer avantage à vendre ses biens à autrui.
Il m'expliqua de manière concise le rôle d'avant-garde que remplissaient les intermédiaires commerciaux dans la lutte contre la crise économique. Il essayait de donner à sa profession des allures respectables, m'expliquant que les circonstances économiques fluctuantes avaient forcé de nombreuses familles aisées à vendre une partie de leurs biens au rabais pour assurer leurs dépenses quotidiennes. Il déclara même : « Nous nous substituons à eux pour les aider à supporter l'humiliation de la vente ! » Puis il proposa, sans aucune forme de préambule, de me vendre un char de seconde main mais en parfait état. C'était une offre que je ne pouvais pas refuser, c'était là mon seul point faible. J'acceptai donc avec prudence, demandant de pouvoir examiner les papiers du véhicule avant de procéder à l'achat, afin d'éviter toute friction en cas de refus de sa licence, mais il m'assura que les papiers étaient parfaitement en règle.
Le soir, j'informai ma femme de l'affaire. Elle sembla ne pas y croire car elle continua à couper les feuilles de molokheyya qui constitueraient apparemment notre repas du lendemain sans prêter la moindre attention à mes propos. Il ne faisait pas de doute qu'un char serait très utile pour les excursions familiales durant les vacances, ou encore pour aller au marché le vendredi, cela impressionnerait certainement les vendeurs au moment de fixer le prix de leurs denrées. Je n'étais pas un imbécile, contrairement à celui dont on dit qu'il aurait acheté la plus grande pyramide de Gizeh - il aurait mieux valu acheter la plus petite ; avec la différence de prix, il aurait aussi pu se payer les rues avoisinantes, ce qui ne l'aurait pas contraint à contempler son bien de loin, car les propriétaires des rues environnantes ne permettent pas aux passants de les emprunter ! J'ai aussi entendu cette histoire du gars qui avait acheté un train. Quel idiot ! Comme si c 'était si facile de s'assurer d'avoir des réserves d'huile en suffisance, celle-ci étant hors de prix ! Il serait dès lors contraint d'utiliser de l'huile de moteur de seconde main, ce qui lui coûterait moins cher. Et puis, comment se procurerait-il le carburant de son train, qu'on ne trouve désormais qu'au marché noir ? Et comment se préserverait-il des jeux idiots des enfants de ses voisins, qui joueraient à cache-cache à l'intérieur du train et qui glisseraient des cailloux dans le moteur, ou même des termites - j'ai entendu quelque part qu'une termite pouvait manger de la pierre, alors pourquoi pas un grand train croulant ?
Deux jours après notre rencontre, nous avons signé le contrat - je ne voulais pas donner l'impression d'être un ignorant qui achète la première chose qu'on lui propose. J'ai d'abord examiné attentivement le char, je me suis assuré du bon état de l'arbre de transmission, j'ai jeté un coup d’œil à la cabine de pilotage. L'intermédiaire m'a assuré que toutes les pièces étaient d'origine, même l'enregistreur était celui qu'avait installé le constructeur. Je me suis couché sur le sol pour vérifier que de l'huile ne coulait pas du moteur, j'ai même reçu un rapport assez étonnant sur la consommation de carburant du char, qui m'a paru plausible dans la mesure où il utilise du mazout, ce qui signifie qu'en cas de pénurie de carburant je pourrais toujours me rendre dans une boulangerie pour en acheter une quantité suffisante. J'examinai aussi les feux avant et arrière, qui m'avaient l'air de fonctionner, puis les chenilles, qui étaient en bon état même si elles avaient l'air un peu branlant, sans doute parce qu'elles avaient déjà beaucoup servi. Je vérifiai aussi le canon, qui me parut en état de marche, je constatai même qu'il n'avait jamais servi, au vu des toiles d'araignée et de la rouille qui s'y trouvaient. Puis je lus les documents de la licence, sans négliger le moindre détail.
Finalement, je conduisis le char moi-même, à l'aide d'un petit manuel et, contre toute attente, je fus surpris dès le premier instant par l'extrême facilité avec laquelle se conduit et se manipule un tel engin. Toutefois, le passage du char dans la rue principale provoqua une panique improvisée - ce qui, après tout, est assez normal - d'aucuns s'imaginant qu'il s'agissait d'un mouvement insurrectionnel. Après quelques instants, la scène devint assez excitante : tous les marchands ambulants trottaient devant moi, les vendeurs de vêtements, les vendeurs de chaussures, les vendeurs de cigarettes, et derrière eux les vendeurs de boissons et de beignets, les cireurs de chaussures, les diseuses de bonne aventure qui n'avaient pourtant pas pu prévoir à temps la catastrophe que représentait mon arrivée imminente. Les barbiers itinérants s'enfuyaient également, suivis par leurs clients galopant à moitié rasés, portant encore dans leurs mains les énormes miroirs qu'ils étaient censés tenir même durant leur rasage. Parmi ces gens en fuite, il y avait même un homme en train de faire des numéros de cirque, comme tirer une voiture avec les dents ou casser une brique d'un seul coup de son gros poing. Dans la cohue causée par cette fuite collective, un agent de la circulation m'arrêta pour contrôler mes papiers. Il examina le permis du char, s'assura de l'authenticité de sa plaque d'immatriculation, vérifia que les numéros indiqués à l'avant du char correspondaient bien à ceux de la plaque arrière, puis il me demanda d'essayer les freins et il constata qu'ils étaient en bon état, il ausculta alors les phares qui étaient eux aussi en état de marche. Puis il me demanda mon permis de conduire afin de voir s'il était encore valide, il me demanda même d'expirer en direction de son nez pour constater que je n'étais pas ivre, ensuite il poussa un cri fracassant dans mes oreilles pour évaluer mes réflexes et s'assurer que je n'étais pas dérangé. Moi, je restais calme et souriant, attendant qu'il trouve l'une ou l'autre faille me forçant à lui donner les clés du char et à continuer ma route à pied. Cependant, après être resté immobile quelques minutes, hésitant, incapable de prendre une décision parce qu'il avait l'impression qu'il y avait bien quelque chose d'anormal mais qu'il n'arrivait pas à déterminer quoi, il se résigna finalement et me dit en faisant le salut militaire, main au képi : Je vous en prie, Excellence !
Molokheyya = légume populaire en Egypte et au Soudan.